A Philippe Brunet qui vient avec sa troupe Démodocos d'offrir au public d'Avignon l'Iliade d'Homère durant vingt trois soirées au théâtre de la Condition des Soies après avoir réalisé le rêve ronsardien de donner une lecture intégrale de l'Iliade " en trois jours ", à la Sorbonne, les 5, 6, 7 mars 2005, le chroniqueur Stendhal eût attribué l'épithète " d'oseur " . L'Iliade à Avignon
Philippe Brunet est un "oseur " courageux ", suprême louange selon l'éthique beyliste. Si Stendhal se réjouissait de ce que le chanteur Galli eût vaincu " un ennemi puissant, l'esprit de routine ", nous saluons aujourd'hui les audaces de Philippe Brunet, trois fois présent, comme traducteur, metteur en scène et acteur. Ou plutôt aède entre ses autres aèdes aussi fervents que lui. A Avignon, chaque soir, ont retenti les cinq cents ou six cents vers d'un chant de l'Iliade, et ces lectures ont montré ce que le travail de P. Brunet et de sa troupe avait d'abouti. Aboutie, cette nouvelle traduction de l'Iliade ( vingt ans de travail, de l'aveu même de son auteur), une traduction versifiée, en hexamètres, ce qui d'emblée nous fait pénétrer dans un univers musical où alternent temps forts et temps faibles, coupes, rejets, comme le permet l'hexamètre devenu français. Ainsi s'insèrent " naturellement "les morceaux dits en grec ancien, lus scandés sans qu'ils rompent la mélodie précédente en français, avec des accents , des tons scrupuleusement soumis aux quantités métriques , à l'alternance dactylique ou spondaïque proposée par le vers homérique. Beaux chants amoebés entonnés par des aèdes rompus à la pratique de la métrique en duos ou bien des morceaux d'ensemble. A des moments majeurs, dans un effet de crescendo.
- - Comme ces coupes ou ces vases découverts au fond des mers dans des épaves de bateaux antiques qui traités, restaurés, redeviennent le cratère ou le lécythe qui accompagnait banquets et funérailles, ainsi ressurgit le texte du vieil Homère vivant, rajeuni, toujours monumental. Intact.
- - Les aèdes évoluent sur la scène, vêtus de toges , ils déroulent les feuillets de leurs volumens qui s'étalent à la fin du spectacle. Ces rouleaux constituent véritablement un élément essentiel de la mise en scène, témoignant de la densité et de la richesse du spectacle. Des musiques improvisées ponctuent les discours ou les pauses tandis que les chants traduisent la détresse ou la joie. Pas de rôle spécifique attribué à un quelconque aède. Les acteurs , les équipes tournent et tel ou telle épouse aussi bien les traits d'Andromaque que ceux d'Agamemnon, de Nestor ou d'Ulysse.
- - Kalos ho kindunos, dit Socrate à son disciple, beau est le risque, le danger. C'est à cette injonction qu'a dû répondre Philippe Brunet en se lançant dans l'aventure homérique. Une réussite que nous applaudissons Longue vie à la troupe de Démodocos qui ne cesse de s'améliorer.
- - Nous savions que l'Iliade était notre première épopée. A l'issue des représentations données à Avignon, ne pouvons-nous pas nous demander si ce n'est pas aussi notre premier opéra ?
Liliane Lascoux, Avignon, juillet 2005