LETTRE AUX AEDES N° 8

Paris, le 30 Juin 2005

Bonjour, chers aèdes,

Tisser la voix


Si Philippe Brunet avait décidé de créer un spectacle sur Homère, il l’aurait fait : il aime suffisamment le théâtre pour cela, les comédiens qui se cherchent ou qui grâce à lui se trouvent en personnages ou non, la scène naïve comme un combat de boules de neige dans une cour d’école, ou façonnant le mythe, les yeux souvent fermés pour mieux entendre, mais pour entendre quoi ? Je vous le donne en mille, ou en cinq mille si vous voulez : tout simplement la belle, émouvante, l’inouïe voix d’Homère, et pas celle littérairement et littéralement glosée des manuels, mais bien celle de l’homme-poème de la Grèce antique surpris en train de tisser ensemble les syllabes de son chant, de ses chants, il y en a vingt-quatre dans /L’Iliade/, et cela grâce à l’hexamétrique scansion mise à jour par les fouilles archéologiques et la magie de l’écriture de Philippe Brunet traducteur.
Et les héros les voici, avec tout juste ce qu’il faut de pacotilles pour les reconnaître et les aimer, parleurs comme des dieux au sein même des combats de guerre qui sont aussi combats de mots, torturés de conscience de vivre et de mourir bien au-delà de toute diplomatie et de tout pacte, n’hésitant qu’à demi face à la mise à mort fatale, s’interrogeant mais toujours marchant, s’effaçant ou paradant, soumis aux souffles des lois que l’univers impose.
Il n’y a pas de doute, ils sont à notre image dans le présent du verbe, entre ressassement et déferlement, remémoration et profération, incantation et silence. Avec cette modestie qui sied à ceux qui, serviteurs du mythe, ne sont qu’aèdes de paroles.

Bernard Benech, le 29 juin 2005


Retour au choix des circulaires aux Aèdes

Retour à l'accueil Démodocos