"Alors Achille, fameux lancier, sauta dans le fleuve
depuis la rive ; et le fleuve lança, furieux, une vague,
agitant, brassant tous ses flots, vomissant les cadavres
innombrables qui l'encombraient, occis par Achille :
tel un taureau mugissant, il les expulsait vers la terre,
hors de son lit, et sauvait les vivants dans l'eau magnifique,
les cachant dans les tourbillons de l'onde profonde.
Une terrible, trouble vague encerclait l'Eacide,
le flot pesait sur son bouclier : pas moyen d'être ferme
sur ses pieds. Achille saisit un ormeau dans ses paumes,
grand, vigoureux ; et l'arbre, en pliant, arracha ses racines,
emporta toute la berge, et retint les ondes splendides
par ses branches touffues. En tombant tout entier dans le fleuve,
l'arbre lui fit un pont. Se précipitant hors de l'onde,
il courut sur ses pieds rapides, vola par la plaine,
pris de frayeur ; le dieu continua, bondit à ses trousses,
avec sa crête noire, pour mettre fin aux ouvrages
du divin Achille, écarter des Troyens le désastre.
(233-250, trad. Ph. Brunet)