Eric Pide, pseudonyme de Wladimir Slépian, est mort le 7 juillet 1998 à Paris, à l'âge de soixante-sept ans. Fils de l'ambassadeur d'U.R.S.S., il naît à Prague en 1930. Son père est assassiné par Staline en 1935. Mis en pension par sa mère en Sibérie, il s'en échappe, à l'âge de onze ans, et traverse cinq mille kilomètres à pied. Se nourrissant de racines, adopté ici par un kolkhoze, se remettant au destin. Cette expérience l'a profondément marqué. Après des études brillantes de mathématiques, et des premières expérimentations en peinture, il fuit l'U.R.S.S. en 1958. A Paris, sans domicile, il vit d'expédients, se plonge dans l'œuvre de Nietzsche, la Renaissance italienne, et, source d'inspiration inépuisable, la Grèce antique. Il renonce à la peinture, dont il incarnait une des tendances avant-gardistes (certains musées et certaines revues en gardent trace), commence une psychanalyse, travaille comme traducteur un certain temps et dirige jusqu'à soixante-dix personnes, puis reprend sa vie marginale et se consacre à la littérature. La revue Minuit publie en 1974 son récit Fils de chien, remarqué par Deleuze et Guattari. Il fréquente Marguerite Duras et Jean-Louis Barrault, qui s'enthousiasment pour son grand livre :



Ier LIVRE DU ROI DU DIAMANT SPECTACLE
" Les Grands-parents ou le Théâtre à l'envers "
(1972)
(Exemplaire de la Dartmouth College Library, Special Collections : Rare Books)



Ecrit en 1972 pour commémorer le centenaire de la Naissance de la Tragédie de Nietzsche, l'ouvrage est diffusé à sept exemplaires et est déposé à la bibliothèque de Dartmouth ainsi qu'à celle de Michigan aux Etats-Unis, à la manière d'Héraclite déposant son livre au temple d'Artémis à Ephèse. A la fin des années 80, il rompt avec la psychanalyse, et séjourne à Turin sur les traces de Nietzsche, inspirant à Jean Rouch son film Enigma, tourné en 1985 : le personnage d'Eric Pide est joué par Philo Bregstein. En 1997, Ph. Brunet lui dédicace son livre La Naissance de la littérature dans la Grèce ancienne (Livre de Poche, Référence), et insère son ode l'Empereur dans la pièce A quand Agamemnon  ?, tragédie en grec ancien restitué et en français, joué par le théâtre Démodocos à Tours, Avignon, et à Paris dans le grand Amphithéâtre de la Sorbonne, le 16 mai. Désormais, tout son travail s'articule autour de son livre unique. Il entreprend un deuxième grand livre, justificatif du premier : L'Avant-Propos ou Le serment de Vérone, inédit, et renoue avec ses premières expériences artistiques, en élaborant des Variations dionysiaques sur le thème A quand Agamemnon ? de Philippe Brunet (48 Variations), polyptyques photographiques exposés en permanence dans différents cafés parisiens (et visibles sur le site internet du Centre de Poésie et de Théâtre Antiques. Se faisant photographe à son tour, très exalté, jeûnant à l'excès, consacrant ses maigres ressources à son art, il conçoit des Retables de Dionysos, photographiant inlassablement de jeunes comédiens dans les cafés où sont accrochés ses polyptyques. Ses fragments photographiques, arrachés à la précarité des instants, préparés comme jamais un artiste ne prépara son travail, et enrichis encore la veille de sa mort, ne seront jamais réunis. Mais l'inspiration dionysiaque est par nature sujette à la métamorphose. Eric Pide est le double palindrome de Sire Edipe. Comme le héros du mythe, il fut confronté à une énigme apparue dans un rêve : Qu'est-ce qui a de belles plumes le matin, les perd à midi, et voit une carapace lui pousser le soir ? Le rêve n'apporta pas de réponse. Mais celle-ci s'imposa : l'homme moderne.

Ph. Brunet